Opération suicide


Le train filait silencieusement à travers les villages. Au-dehors, le soleil brillant annonçait déjà l'été. La journée était radieuse et la campagne très belle, mais ce n'était pas ce qui rendait Yolin'ta plus gaie pour autant. Autour d'elle, les autres passagers étaient aussi maussades que toujours; pourtant, ils semblaient se soucier plus de leurs tracasseries quotidiennes que de la situation actuelle. Sans doute ne voulaient-ils pas y penser. Qu'auraient-ils pu y faire, après tout? Ils soutenaient probablement l'attitude agressive du gouvernement, mais redoutaient plus que tout une guerre contre les Fioliks. D'autant plus qu'une terrifiante rumeur courait sur une nouvelle arme impitoyable qu'ils auraient mise au point...

Yolin'ta lut les titres du journal de son voisin d'en face. Ils se voulaient rassurants, mais la menace voilée qu'ils contenaient la faisait frissonner. Elle se contraignit à se détourner et regarda le paysage pour essayer d'oublier le monde extérieur un instant.

Elle était dans le courant de sa vingt-troisième année. Elle était encore toute jeune, mais quel âge avait-elle vraiment, à l'intérieur? Elle ne réussissait pas à se reconnaître dans les autres jeunes gens: comment pouvaient-ils donc rester si insouciants malgré les événements? Tandis qu'ils s'amusaient entre eux, elle lisait minutieusement des livres anciens, tâchant de trouver un moyen de contrer les Fioliks. Leur armée était si puissante, comparée à celle des malheureux Tavihènes. Ils avaient bien de la peine à résister, quoique leurs victoires fussent plutôt nombreuses lors des dernières escarmouches.

Yolin'ta poussa un long soupir. Et voilà, encore en train de ressasser une situation à laquelle elle ne pouvait rien. Elle ne souhaitait même pas l'extermination du peuple de Fiol, contrairement à bon nombre de ses compatriotes. Elle ne comprenait pas pourquoi les deux pays se haïssaient tant. Jusqu'à encore récemment, les frontières étaient ouvertes. Les races se mélangeaient et vivaient ensemble. Quoique... Même à cette époque, des tensions existaient, sournoises. Il semblait que ce rejet réciproque ait toujours été présent, si l'on se fiait aux documents qu'elle avait eus entre les mains. La légende racontait que deux colonies rivales se seraient formées sur la planète, à partir de gens venant d'ailleurs. Elles auraient évolué parallèlement en s'ignorant, à tel point qu'elles oublièrent jusqu'à l'existence même l'une de l'autre. La situation était si précaire, la planète si hostile. Rien d'autre ne comptait que de survivre jusqu'au lendemain. Puis, peu à peu, les hommes réussirent à dompter la nature et faire de ce monde le leur. Et les deux groupes se rencontrèrent à nouveau, chacun n'ayant gardé qu'un seul souvenir de l'autre: qu'il était l'ennemi. La haine ne s'était jamais éteinte, et aujourd'hui que le transport était devenu aisé, elle était attisée par la proximité.

Les Fioliks avaient toujours été plus nombreux et plus puissants, aussi s'était-il créé un service plus ou moins secret d'espions tavihènes chargés de surveiller l'évolution du pays adverse. Yolin'ta n'était pas vraiment un agent, car trop jeune et inexpérimentée, mais elle faisait tout son possible pour protéger son peuple. Son rôle, bien que moins direct, était tout aussi indispensable.

Elle reporta son attention sur le journal, que son propriétaire avait reposé sur ses genoux. Une photographie montrait les principaux dirigeants fioliks s'adressant au peuple, mais ce qui attirait son regard était le visage d'un homme en arrière-plan, dur et empli de haine, qui la faisait frissonner. Valim. Le véritable chef de l'armée ennemie. Il se tenait toujours dans l'ombre, évitant la foule et dédaignant la propagande télévisée; cependant nul agent de la défense tavihène n'ignorait qu'il était le cerveau de cette terrifiante force de frappe. L'homme le plus dangereux de tout le pays de Fiol.


Des enfants dans une cour de récréation. Un jeune garçon est assis sur une marche de l'escalier. Il ne pleure pas, mais son cœur est lourd et il serre ses genoux dans ses bras maigres. Ce matin, il a retrouvé ses cahiers déchirés et couverts d'insultes. Il connaît bien les noms des coupables, qui ne cherchaient même pas à se dissimuler et riaient à l'autre extrémité du couloir. Ils savent qu'il n'a aucun moyen de se défendre d'eux. La semaine précédente, ils lui ont déjà volé son livre pour le jeter dans une poubelle.

Il ne faut pas faire attention à eux. Ils sont jaloux parce qu'ils réussissent moins bien. Non, il ne faut pas faire attention...


Yolin'ta, en entrant dans le bâtiment sombre qui abritait le Centre - quartier général des espions tavihènes -, se demanda ce que Doll, son supérieur, aurait de nouveau à lui apprendre depuis son départ. Sans doute y aurait-il des informations fraîches des agents en mission à Fiol, à propos de l'arme mystérieuse. Peut-être lui demanderait-il alors de rechercher dans les bibliothèques un moyen de résister. La tâche était peu gratifiante, mais oh combien utile si elle aboutissait.

Elle remarqua immédiatement l'atmosphère oppressante et le regard soucieux de Doll. Manifestement, les nouvelles étaient mauvaises.

« Yolin'ta, tu arrives à temps; puis, s'adressant à l'assemblée, il reprit: Nous avons reçu un message de nos gens chargés de recueillir des renseignements sur la Vengeance Ultime, comme l'appellent les Fioliks. Il s'agirait d'une onde ou d'un rayon capable de tuer instantanément n'importe lequel d'entre nous, où qu'il se trouve sur la planète.

- Comment...?

- Mais c'est impossible!

- ... inventer une chose pareille?

- ... arme monstrueuse...

- S'il vous plaît, taisez-vous! Ils devaient nous donner plus de détails à leur retour, mais ils ne sont pas revenus. Tout ce que nous savons pour l'instant, c'est que: cette arme n'a, en l'état actuel des choses, pas de parade; elle ne laissera aucun survivant dans notre camp; Valim est apparemment le seul à avoir accès au déclencheur; et enfin ils ont l'intention de la mettre en marche très bientôt.

- Comment est-ce possible que cette... Vengeance Ultime ne touche pas les Fioliks? demanda la meilleure amie de Yolin'ta, Setolian.

- Nous n'en savons rien. Je te rappelle que nous ne connaissons pas son mode d'action, puisque nos espions n'ont pas eu le temps de nous transmettre ces renseignements. Elle agit probablement sur une caractéristique biologique de notre race.

- Et les métis?

- Ils sont de toute manière très rares. Je présume que tout dépend du degré de métissage. »

Les murmures terrifiés reprirent avant de laisser place à un silence non moins oppressé. Tous se demandaient intérieurement quel espoir leur restait de ne pas voir périr tous leurs compatriotes. Yolin'ta fut la première à poser à voix haute la question qui se pressait dans tous les esprits.

« Que... que pouvons-nous tenter de faire?

- Je l'ignore. Je crains que le dernier espoir qu'il nous reste ne soit de tuer Valim, s'il est bien le seul à avoir la clef de la Vengeance Ultime. Mais nous ignorons comment l'atteindre. »

Il désigna une douzaine d'agents, les plus habiles parmi la multitude de volontaires. Tous savaient que l'entreprise était désespérée, mais ils n'avaient pas d'autre choix. Leur seule chance était de profiter de la tendance des Fioliks à laisser les Tavihènes entrer sur leur territoire, depuis qu'ils disposaient de leur arme absolue. Quant à tous ceux qui devaient rester, ils ne pouvaient plus qu'attendre, et prier. Alors que Yolin'ta allait partir, atterrée comme les autres, pour errer dans les rues, Doll la rattrapa et la conduisit dans son bureau.

« Yolin'ta, j'ai encore du travail pour toi. Je ne crois guère au succès de ceux qui vont se sacrifier dans l'espoir de nous sauver. »

Il marqua une pause. Son visage était décomposé; jamais elle ne l'avait vu ainsi, et plus que tout c'était ce qui lui faisait prendre conscience du caractère désespéré de la situation.

« Nous connaissons l'école où Valim a fait ses études avant d'entrer dans l'armée fiolike. Trouve tout ce que tu pourras sur lui, sur sa personnalité, sur ses amis.

- Où...?

- Ecole Nahessa, à Sotinn.

- Mais, c'est de notre côté de la frontière!

- Je sais: Valim, bien que de famille fiolike, a passé toute sa jeunesse en Tavih. Ainsi tu seras en sécurité et tu pourras compter sur la coopération de l'administration. Va, et mets à jour la faille qui nous permettra d'ébranler ce monstre inhumain! »


L'enseigne d'une piscine d'air brille dans une rue animée. Le garçon se tient debout, nerveux et aux aguets, à côté de l'entrée. Il regarde sans cesse l'heure, sachant très bien que ses "amis" ne viendront plus maintenant. Le rendez-vous était fixé il y a près d'une demi-heure. Oh, demain, ils vont lui dire qu'ils ont changé d'avis, qu'ils ont oublié de le prévenir, et qu'ils sont désolés. Comme toujours... Ils ne l'ont invité que parce qu'il était là quand l'un d'eux a lancé l'idée, évidemment. Ils tolèrent sa présence, mais ils ne pensent pas à lui. Pour eux, il n'existe pas.

Il entre dans la piscine d'air, seul. Il s'arrête un instant pour observer les clients qui s'amusent à se laisser porter par les courants ascendants et descendants, en poussant de grand cris faussement effrayés, puis s'élance à son tour. Il flotte dans le vent artificiel, le visage vide de toute expression, tandis qu'au fond de lui il se sent tomber, tomber, tomber...


Yolin'ta n'eut guère de difficulté à trouver l'école Nahessa, où Valim avait étudié avant de passer à Fiol. Le directeur avait changé depuis cette époque, mais l'administration répondit avec empressement quand la jeune enquêteuse leur expliqua sa mission, comme pour expier par une aide zélée la faute d'avoir jadis accueilli l'ennemi. Hélas, toute leur bonne volonté ne pouvait créer des documents inexistants, et l'école n'avait rien d'autre à lui fournir qu'une vieille fiche de renseignements et un nom avec une adresse: celle de la logeuse à qui Valim louait une chambre à l'époque. Yolin'ta, plus découragée que jamais, s'y rendit à tout hasard; après tout, elle n'avait rien à perdre en tentant sa chance là-bas.

La demeure se trouvait dans un quartier qui avait dû être riche mais était maintenant plutôt délabré. Le nom sur la porte était le bon et apparemment, quelqu'un y habitait encore. Yolin'ta, après un instant d'hésitation, actionna le bouton d'appel. Un Tavihène assez jeune, l'air éteint, répondit sans se presser.

« Vous désirez quelque chose?

- Je m'appelle Yolin'ta, et je travaille pour la Sécurité. Je recherche tous types de renseignements sur Valim. »

Le regard de son interlocuteur s'anima quelque peu.

« Entrez, entrez. Nous serons mieux pour parler. Installez-vous, ajouta-t-il en désignant un siège.

- C'est bien ici qu'il habitait durant ses années d'école?

- Ouais, ma pauvre mère lui louait la chambre du grenier. On l'aimait beaucoup, voyez-vous, même si c'était un Fiolik - et Dieux que ça me fait mal d'y repenser maintenant. Il faisait presque partie de la famille. Il était très renfermé, mais gentil et toujours prêt à donner un coup de main. Quand il est parti, un jour, comme ça, sans prévenir, on a eu peur qu'il lui soit arrivé malheur. Hélas! Quand on a compris qu'il ... était repassé de l'autre côté, ça a fait un tel choc à ma pauvre mère qu'elle ne s'en est jamais remise. Elle est morte quelques mois plus tard de chagrin... »

L'homme se tut, perdu dans ses souvenirs, et Yolin'ta ne chercha pas à briser le silence. Enfin, après plusieurs minutes, il reprit d'une voix plus calme:

« Nous n'avons pas touché à sa chambre depuis. Vous pouvez aller voir. Prenez tout ce que vous voudrez. Si ça peut l'empêcher de faire du mal à d'autres gens... Pour nous il est trop tard. »

La pièce en question était emplie de la poussière accumulée pendant plusieurs années. Cette fois, les espoirs de l'espionne ne furent pas déçus: les documents ne manquaient pas. Elle emporta tout ce qui lui sembla potentiellement intéressant et quitta l'habitant des lieux, non sans éprouver une certaine sympathie à son égard.

Enfin rentrée chez elle, Yolin'ta déposa son imposant fardeau sur le sol, au beau milieu du séjour. Elle était impatiente d'en dépouiller le contenu, pressentant qu'elle allait y trouver une mine de renseignements de la première importance. Elle fouilla un peu au hasard dans la masse de papiers, ne sachant trop par où commencer; après avoir éliminé quelques documents officiels sans grand intérêt pour elle, elle découvrit un annuaire de l'école Nahessa. Valim y figurait, et la jeune Tavihène sentit son cœur se figer dans sa poitrine tandis qu'un frisson glacé la parcourait, en apercevant la vieille photographie de l'homme tant haï. Il avait l'air triste, oh, si triste! Il ne ressemblait en rien au monstre sans pitié qui contrôlait dans l'ombre l'armée ennemie. Il avait donc été capable de souffrir? Peut-être même lui restait-il encore un fond d'humanité? A la fois intriguée et emplie d'espoir, Yolin'ta se mit frénétiquement à la recherche d'indices pouvant l'éclairer sur la personnalité de Valim.


L'adolescent, allongé sous le scintillement des étoiles, contemple distraitement le ciel. Le froid de la nuit le transperce mais il ne veut pas rentrer. Il risquerait de voir ses parents et devrait encore les affronter. Ils lui ont reproché de ne pas avoir d'amis, d'être différent. De ne pas imiter tous ces jeunes gens qui ne s'intéressent qu'aux relations physiques avec les filles, et évaluent leur mérite au nombre de celles qui ont partagé leur lit? Les représentantes de l'autre sexe ne valent pas mieux. Il serre les poings et son visage se durcit en repensant aux railleries dont il est la victime. Parce qu'il ne les écoute pas quand ils narrent leurs "exploits" Parce qu'il estime que ces êtres futiles ne méritent pas son attention. Mais l'isolement le fait souffrir...

Et il faut encore que ses parents l'accablent de leurs reproches. Il devrait ressembler aux autres adolescents de son âge? Jamais!


Recroquevillée dans un angle du séjour, inconsciente de la lueur du petit matin qui filtrait par la fenêtre, Yolin'ta sanglotait. Non, ce n'était pas vrai! Quelle sorte de folie était donc la sienne pour éprouver de la pitié pour ce monstre de Valim? Elle se mordit la main jusqu'au sang pour tenter de calmer le dégoût qu'elle s'inspirait elle-même. Oh, Dieux, comme elle se haïssait! Valim, cet être sadique qui s'apprêtait à tous les balayer sans remords, elle aurait dû vouloir le détruire sans hésiter. Mais le pauvre homme avait tellement souffert d'être rejeté; c'était son moyen de se venger de tous ceux qui avaient causé cette douleur!

Yolin'ta, en plus de lettres, de dessins et de récits avortés, avait découvert le journal intime de Valim. Elle l'avait lu sans s'interrompre, sentant fondre sa haine au fur et à mesure que les larmes lui montaient aux yeux. Elle se méprisait pour sa faiblesse: son devoir lui dictait d'utiliser sa découverte pour détruire celui qui détenait la clef de la Vengeance Ultime avant qu'il ne soit trop tard. Mais elle ne pouvait pas, pas maintenant, pas après avoir lu ce journal! Incapable de faire face au conflit qui la dévorait, elle restait prostrée et, épuisée, elle finit par sombrer dans un sommeil lourd d'avoir trop pleuré, les paupières gonflées de larmes et la bouche tordue en un masque de désespoir.

Elle reprit soudain conscience. Peut-être... peut-être lui restait-il encore une chance. Tandis qu'une idée insensée - mais quelle importance désormais? - prenait forme dans son esprit, elle retrouvait un peu d'espoir. Elle se leva en titubant et retourna lentement à la montagne de documents pour vérifier son hypothèse.

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Le Gouverneur de l'armée fiolike entra d'un pas guilleret dans le bureau de Valim. Celui-ci lui jeta un regard indifférent - qui lui apprit que les militaires avaient déjà commencé à fêter la victoire prochaine - et reporta les yeux sur les rapports des espions.

« Eh, au lieu de vous enfermer ici, venez plutôt vous joindre à nous! Il y a des bouteilles des meilleurs vins du pays, à côté.

- Vos beuveries de m'intéressent pas.

- Allons! Un peu de détente de temps en temps n'a jamais fait de mal à personne, vous savez. Et puis, poursuivit-il d'un air de conspirateur, il y a aussi les plus belles filles dont vous pourriez rêver, et qui ne demandent pas mieux que de tenir compagnie à l'inventeur de la Vengeance Ultime. Qu'est-ce que vous en dites? Tenez, vous savez quoi? Vous devriez la déclencher, là, tout de suite, et qu'on n'en parle plus! »

Valim leva vers lui un visage fermé et répondit d'un ton sans appel:

« Non. Et maintenant, fichez-moi la paix.

- Valim, votre arrogance commence à me faire perdre patience. C'est à se demander si, au fond, votre revirement tardif ne cache pas une traîtrise. Qui sait si passer votre enfance au milieu de ces maudits Tavihènes ne vous a pas contaminé avec leur fourberie? Je devrais vous faire jeter en prison sur-le-champ! »

Valim sourit, d'un sourire glacial et cruel qui évoquait un chien prêt à mordre - le seul qu'il fit jamais.

« Voyons! Oublieriez-vous que je suis le seul à pouvoir lancer l'arme qui vous assurera la victoire et la gloire? - ses lèvres se retroussèrent un peu plus sur ses canines - Vous voyez: vous avez encore besoin de moi. »

Le Gouverneur, en rage, serra les poings, tourna les talons en silence et sortit en claquant la porte.

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L'espoir de Yolin'ta était complètement fou, mais sa conviction se renforçait d'heure en heure qu'ils pouvaient avoir encore une chance, si seulement elle arrivait à atteindre Valim à temps. Elle se disait qu'elle devrait se mettre en route sans tarder, car les embûches ne seraient que trop nombreuses; cependant elle était trop fascinée par tous les documents pour s'en détacher avant d'avoir fini de les explorer.

La journée était déjà bien entamée quand elle remarqua, sur un papier administratif sans importance, la date de naissance de Valim. C'était dans quatre jours. Bien que ni les Tavihène ni les Fioliks n'eussent l'habitude de célébrer les anniversaires, Yolin'ta eut instantanément la certitude absolue que ce serait le jour de ses vingt-sept ans qu'il assouvirait sa haine de tout un peuple. Alors qu'elle allait se préparer à partir pour Fiol - elle avait presque terminé de toute façon - une vieille enveloppe froissée attira son attention. Elle était sale et en plutôt mauvais état, mais n'était apparemment pas descellée. Elle portait le simple nom manuscrit de Valim, mais l'écriture était différente. Yolin'ta, curieuse, la décacheta et en sortie une copie de formulaire d'adoption qu'elle lut aussitôt. Oh, NON! Elle se redressa brutalement. Non, non, non, non, non! Sans perdre un instant de plus, elle se précipita au Centre pour savoir comment atteindre le cerveau de l'armée fiolike, emportant précieusement le contenu de l'enveloppe. Cette fois, elle était certaine de ne pas échouer.


Elle lui a promis son amour et lui, pauvre imbécile, il l'a crue. Et maintenant, elle rit de lui avec ses amis parce qu'il était sérieux et qu'il ne peut l'oublier. Ils ne l'ont jamais aimé, et d'une certaine manière, il est sûr que c'est à cause d'eux qu'elle est partie, mais cela ne lui apporte aucun réconfort.

Le jeune homme est assis sur le lit de la petite chambre qu'il loue et ressasse ces pensées depuis plusieurs heures. Il n'a pas mangé depuis midi et il fait nuit noire, mais il n'a pas faim. Heureusement, il n'a vu personne en rentrant. Il reste ainsi, à se balancer doucement, tremblant de douleur, les yeux dans le vague.

C'est le groupe dont elle fait partie qui a cherché à la détacher de lui, mais elle, elle n'a rien fait contre. Ils jubilent tous de le voir souffrir à présent. Peut-être même était-ce juste pour leur donner ce plaisir qu'elle a fait mine de s'intéresser à lui.

Il les hait, tous autant qu'ils sont. Un jour, il trouvera le moyen de leur faire payer tout ce qu'il a subi. Sa décision est prise.

Dieux, pourquoi est-ce que cela fait si mal de haïr?...


Setolian n'avait pas réussi à retenir Yolin'ta quand celle-ci l'avait appelée pour lui dire adieu, et elle se le reprochait amèrement. Elle avait compris les sentiments de son amie et son plan, même si elle ne croyait pas à la moindre probabilité de succès. Elle se précipita pour annoncer la nouvelle à Doll.

« Yolin'ta est partie pour Fiol! gémit-elle, hors d'haleine.

- Comment? Qu'est-ce que tu dis là?

- Elle s'imagine avoir trouvé la faille dans la carapace de Valim et veut tenter de l'arrêter.

- Mais pourquoi donc est-ce qu'elle n'est pas venue nous prévenir? J'aurais envoyé des agents à sa place! Elle est bien trop fragile pour aller elle-même sur le terrain. Yolin'ta est très courageuse, mais là c'est du suicide pur et simple! »

Setolian secoua lentement la tête.

« C'est encore pire que ce que vous croyez... »

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Yolin'ta songea qu'elle devait rêver. Elle avait passé sans encombre les obstacles qu'elle avait rencontrés, et avait atteint le cœur du palais militaire fiolik où se trouvait Valim. Les trois jours qui s'étaient écoulés depuis son départ lui semblaient flous, et elle n'en gardait que quelques souvenirs brumeux. Elle avait voyagé plongée dans une sorte de transe dont elle ne sortait qu'en arrivant si près du but, contre toute attente.

Redoublant de prudence, elle se glissa silencieusement dans les couloirs déserts. Heureusement pour elle, la discipline était toute relative et les soldats trop occupés à s'enivrer pour remarquer sa présence. Elle dépassa une porte d'où provenaient des éclats de voix et des rires gras avant de trouver enfin ce qu'elle cherchait.

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Valim était profondément calme. Il y avait depuis si longtemps qu'il attendait et redoutait cet instant... Sa froideur s'était amplifiée durant les dernières semaines pour dissimuler sa peur, mais depuis le matin il se sentait étrangement léger, presque heureux. Aucun sentiment ne le troublait plus. Le moment ultime de sa vengeance était venu.

Sans se presser, il composa le code nécessaire pour activer l'arme qu'il avait créée. Elle ne se déclencherait que quand il poserait son index gauche sur un petit bouton capable de reconnaître ses empreintes digitales - deux précautions valaient mieux qu'une. Il était satisfait à l'idée que la mort qu'elle dispenserait alors serait rapide et indolore, mais qu'aucun Tavihène n'y réchapperait.

Le bruit de la porte s'ouvrant brutalement l'interrompit avant qu'il ne lance le mécanisme irréversible. Il se retourna et aperçut une jeune fille qui paraissait aussi interloquée que lui de sa présence ici. Elle était grande, mince, belle. De toute évidence, une Tavihène.

« Qui êtes-vous donc? » demanda-t-il moins durement qu'à son habitude.

Yolin'ta se secoua pour se débarrasser de l'hébétude qui la rendait muette.

« Valim, je t'en supplie, ne fais pas ça! Je sais ce que tu ressens: j'ai lu ton journal. Tous les Tavihènes ne sont pas aussi cruels!

- Vous n'essayez pas de me tuer? Vous avez affronté le danger de venir jusqu'ici, juste pour me séduire? »

Son étonnement se mua en incrédulité puis en admiration polie. Des militaires fioliks fort peu présentables apparurent soudain à la porte mais, voyant que Valim semblait à l'aise, ils s'arrêtèrent.

« Qu'est-ce qui se passe, ici? demanda rageusement le Gouverneur.

- Cette charmante demoiselle essayait de m'expliquer que je ne devais pas tuer ses semblables. Elle ne m'a pas convaincue, mais j'apprécie son geste.

- Valim, arrête tout, par pitié! »

Yolin'ta, sortant l'enveloppe, se précipita vers lui. Les soldats la rattrapèrent sans peine, et elle la laissa échapper quand ils la saisirent par les bras. Elle se mit à crier entre deux sanglots.

« Tu es un Tavihène! Tu vas mourir aussi!! »

Le Gouverneur eut un hoquet de surprise, mais Valim se contenta de la regarder, légèrement surpris, avant de faire un geste vague.

« Bien sûr: je le sais. Je l'ai toujours su. »

Il se retourna et appuya sur le bouton.


Laura@Espezon.org

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Dernière modification: 16 avril 2000.