Promenade nocturne


Annie marchait d'un pas hâtif, courbée par le poids du lourd sac de voyage qu'elle portait sur l'épaule. La nuit était lugubre, froide et humide, et le quartier mal famé. La jeune femme jetait sans cesse des coups d'œil furtifs à droite et à gauche, nerveuse. Plusieurs groupes de jeunes gens l'avaient suivie du regard tandis qu'elle passait à proximité -- certes, elle était attirante, avec ses traits fins, très jeunes, et sa silhouette frêle et délicate --, et elle avait entendu leurs commentaires, à la fois appréciateurs et tellement dégradants. Elle les haïssait, du plus profond de son être, ces hommes qui la considéraient comme un objet et n'auraient pas hésité à abuser d'elle s'ils en avaient eu l'occasion. Ils la dégoûtaient, une répulsion presque physique, et elle frissonna en y repensant. Mais elle se reprit, serrant les dents.

Etait-ce un bruit de pas derrière elle? Elle pressa l'allure tout en tendant l'oreille pour s'en assurer. Oui, elle était effectivement suivie, et l'individu se rapprochait. Les alentours étaient déserts. Personne en vue pour apporter du secours. Annie obliqua dans une ruelle, courant presque, mais l'autre la rattrapa vite; il posa une main sur son épaule et l'obligea à lui faire face, si vivement qu'elle en lâcha son sac. Brandissant un couteau à cran d'arrêt devant elle, il gloussa d'un rire gras, l'haleine empuantie par la bière et le tabac, les yeux troubles.

Son expression se figea sur son visage. Un rictus sauvage et cruel relevait les lèvres d'Annie, et dans son regard dansait une lueur sadique de parfaite satisfaction et de plaisir anticipé. Malgré la drogue qui embrumait son esprit, l'agresseur sentit la peur l'envahir. Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu! Il voulut prendre la fuite, vite, retourner dans le monde qui lui était familier, loin de ce démon à figure humaine. Mais ses jambes ne lui obéissaient plus.

Sans se presser, Annie ouvrit son sac pour en extraire un couteau, un simple couteau de cuisine, tout en continuant à fixer sa proie. Du tranchant de la lame, elle lui caressa la joue pour y tracer un fin sillon sanguinolent.

« Alors, on croyait pouvoir m'agresser comme ça? Me violer, peut-être?... susurra-t-elle d'une voix mielleuse. Pauvre imbécile! Je ne me plains pas, remarque, tu est justement le genre d'individu que je recherchais. Pour la première fois de ta vie, tu vas servir à quelque chose... »

Elle fit un petit rire cristallin, glacial et coupant comme de la glace. L'homme était paralysé de terreur pure. Il voulut hurler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Et Annie jouissait de sa peur et de sa souffrance, comme elle continuait à lacérer doucement son visage, elle se nourrissait des émotions absolues qu'elle faisait naître.

La séance de torture dura cinq minutes à peine, jusqu'à ce que la victime s'effondre, à bout. La jeune femme poussa un soupir comblé, s'accordant quelques secondes pour profiter encore un peu du souvenir de son plaisir. Puis, méthodiquement, elle brisa la nuque de l'homme, le roula sur une couverture maculée de sang séché, et entreprit de lui ouvrir le ventre pour y glisser soigneusement les pavés et gros morceaux de métal qui alourdissaient tant son sac. Elle l'enroula dans du plastique qu'elle referma soigneusement, rangea ses affaires et traîna le cadavre jusqu'au fleuve tout proche. Le temps que le corps soit retrouvé, toute trace menant à elle aurait disparu, emportée par l'eau putride...

Annie reprit sa promenade nocturne, d'un pas maintenant flâneur, avec un fin sourire de satisfaction.


Laura@Espezon.org

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Dernière modification: 15 avril 2000.